Gabon : le 30 août va-t-il effacer le 17 août de la mémoire nationale ?

À Libreville, un simple coup d’œil aux artères principales suffit à s’interroger. Alors que la fête de l’indépendance du 17 août approche à grands pas, ses décorations se font attendre. En revanche, les visuels et symboles du 30 août, rebaptisé « Coup de la Libération », s’installent déjà fièrement. Comment expliquer qu’une date vieille de deux ans prenne une telle avance sur une commémoration qui marque la naissance même de l’État gabonais ?
Depuis 2023, le 30 août est devenu un jalon politique majeur : il célèbre le renversement du régime précédent et l’avènement des nouvelles autorités. Pour marquer son importance, le pouvoir en a fait une fête tournante à travers le pays. Après Libreville et d’autres villes, c’est Tchibanga, dans la province de la Nyanga, qui accueillera cette année les cérémonies officielles. Mais cette montée en puissance interroge : n’est-on pas en train de réécrire la hiérarchie de nos symboles nationaux ?
Le 17 août, malgré ses 65 ans d’histoire, risque-t-il de devenir une date secondaire, reléguée derrière l’éclat d’une commémoration récente mais politiquement centrale ? Les générations futures retiendront-elles d’abord le coup d’État militaire avant la conquête pacifique de l’indépendance ? Cette bascule symbolique n’est-elle pas un pari risqué pour la mémoire collective, qui pourrait se construire autour d’une histoire fragmentée et sélective ?
Il y a aussi la question, moins symbolique mais tout aussi cruciale, des coûts. Une célébration tournante implique chaque année : des aménagements urbains et décorations spécifiques dans la ville hôte, des déplacements officiels avec cortèges, sécurité renforcée et logistique lourde, des prestations culturelles, artistiques et protocolaires, ainsi qu’une communication nationale et locale pour donner à l’événement un éclat médiatique. Ces opérations représentent des dizaines, voire des centaines de millions de francs CFA. Peut-on, dans un contexte économique où hôpitaux, écoles et routes attendent toujours des investissements urgents, engager de telles dépenses pour un événement politique récent ? Les retombées économiques locales compensent-elles réellement l’effort financier de l’État ?
En donnant davantage de moyens et de visibilité au 30 août qu’au 17 août, quel message les autorités envoient-elles aux citoyens ? Est-ce celui d’un pays qui valorise son passé fondateur, ou celui d’un pouvoir qui inscrit avant tout sa propre histoire au cœur de la mémoire nationale ?
Ces questions méritent d’être posées avant que ne s’installe un déséquilibre durable dans notre calendrier symbolique et nos priorités budgétaires. Les autorités ont la responsabilité de réfléchir à cet équilibre, de considérer l’impact de ces choix sur la cohésion nationale, et, si nécessaire, de rectifier le tir. Car l’histoire d’un pays ne se résume pas à un seul chapitre, aussi marquant soit-il.